Créer un fonds de dotation pour préserver l’évolution naturelle de forêts n’est pas un choix anodin.
Ce choix engage la responsabilité de laisser vivre un écosystème sans y intervenir, sauf cas de force majeure mettant par exemple en danger des vies humaines.
Cela signifie par exemple qu’en cas de tempête ou de grande sécheresse, les chablis (arbres tombés naturellement) ne soient pas enlevés, mais laissés sur place.
De nombreuses personnes auront tendance à montrer du doigt notre choix. Pour elles, les forêts doivent être entretenues pour être en bonne santé.
D’autres diront que les champignons décomposeurs de bois mort vont fragiliser la forêt. D’autres soutiendront qu’il est urgent de planter des espèces méditerranéennes dans nos massifs (cèdre, sapin turc par exemple), même en versant nord, car elles résistent mieux à la sécheresse que les espèces locales autochtones, et qu’elles n’auront pas le temps de migrer seules étant donné la distance et la rapidité des évolutions du climat. Ce sont les adeptes de la « migration assistée ».
La réalité est que c’est le forestier qui a besoin de la forêt, pas le contraire.
D’autre part, la capacité de réponse des écosystèmes au changement climatique est largement inconnue. Les connaissances sont très lacunaires. Personne ne peut prédire le climat de 2050, et ses effets sur les essences naturelles ou sur celles plantées aujourd’hui. Lesquelles auront dépéri ?
Dans un même temps, l’intérêt porté au fonctionnement naturel des forêts ne cesse de croître.
Plusieurs exemples récents nous ont montré qu’une forêt ancienne et mature résiste mieux aux attaques parasitaires, aux sécheresses et aux incendies qu’une forêt de reconquête ou une plantation monospécifique.
La perturbation est l’un des moteurs de la diversité des écosystèmes naturels. Comme le dit Jacques Blondel, « Par les mosaïques d’habitats qu’elles génèrent et entretiennent, les perturbations sont génératrices de biodiversité ».*
Prenons un exemple dans les Pyrénées centrales : suite à la tempête de 1999, un enchevêtrement de chablis de sapins a été conservé tel quel sur plusieurs dizaines d’hectares. Cela a permis de protéger la pousse de nombreuses espèces de la dent du cervidé : sureaux rouges, framboisiers, saules marsault, bouleaux, sorbiers des oiseleurs ont grandi dans une mosaïque de clairières spontanées devenues inaccessibles à l’homme et aux grands herbivores. Quelques années plus tard, une faune riche et spécifique, dont plusieurs couvées de Grand tétras (grands coqs de bruyère), y a élu domicile, pour le plus grand bonheur des amoureux de la nature.
Nous tenons à préciser que ces propos ne sont pas déconnectés du monde dans lequel nous vivons. La plupart d’entre nous ont fait le choix de modes de vie proches des réalités de la montagne dans les Pyrénées. Nous sommes en contact étroit avec la forêt et appréhendons de manière fine ses mécanismes, 3 des 5 membres fondateurs y exercent ou y ont exercé leur profession. Y préserver la nature sauvage en bonne intelligence avec les activités humaines (pastoralisme extensif, notamment) est pour nous un marqueur de qualité de vie et de liberté, ainsi qu’un rempart aux logiques prédatrices du modèle économique néolibéral.
Nous agissons pour protéger les forêts à caractère naturel et les espèces associées.
Notre démarche est assumée, elle se base sur des observations réelles.
Elle ne maintient pas les lieux « sous cloche » à l’abri des visiteurs, mais elle contient les accès se faisant par routes forestières et pistes de débardage afin que des forêts anciennes et matures ne soient pas remplacées par des plantations de Douglas ou épicéas en ligne, où la biodiversité aérienne et du sol est quasi absente.
Elle permet de protéger des espaces où la forêt peut s’exprimer pleinement, où la flore et la faune natives de nos forêts sont en quiétude, grâce à la libre évolution.
Elle redonne une certaine grandeur à la Nature.
« La Biosphère peut être réduite, appauvrie, affaiblie, il suffit de quelques braises et d’un soulèvement des contraintes pour que le vivant foisonne, se répande, se multiplie dans toutes les directions. Le vivant est avant tout prodigue, si on lui laisse le temps de s’exprimer. Mais pour cela il faut chérir les dernières braises. » (Baptiste Morizot)
* Pour approfondir le sujet, voir l’étude Perturbations et forêt : accidents ou nécessités ? de Jacques Blondel (CEFE/INRA) en cliquant ici