Haut Comminges : c’est perdu

Cascade en bordure de parcelle

 

Malheureusement, cette forêt n’a pas pu être préservée par notre fonds de dotation.

Nous avions passé fin 2020 un sous seing privé avec la propriétaire de cette forêt de 3.12 hectares, comportant :

– 2 parcelles de vieille forêt pyrénéenne,

– 2 parcelles de forêt « refuge d’espèces » (nombreux hêtres têtards avec micro habitats liés aux très gros hêtres vivants),

– Egalement, 4500 m2 de prairie réparties sur plusieurs parcelles en lisière de forêt.

Nous avons contacté le fermier pâturant avec ses vaches (sans fermage, comme il est souvent coutume dans les Pyrénées, inconnu de la propriétaire, fille de l’ancien propriétaire décédé), laissé 2 messages sur son répondeur pour lui proposer un commodat (prêt de la prairie à titre gratuit) … mais trop tard, deux voisins avaient déjà fait préemption auprès de la SAFER. 

Ces deux habitants, propriétaires de parcelles voisines, dont l’un est exploitant forestier et bûcheron, s’opposaient à la vente en compagnie de l’éleveur.

Nous nous sommes retrouvés en commission SAFER début mai 2021. Celle-ci permet à chacun de s’exprimer à huis clos à tour de rôle. Nous avons exposé notre intention, et proposé de réduire notre achat aux parcelles strictement forestières.

La commission SAFER était composée du représentant de la SAFER, d’un représentant de la commune et de trois représentants de syndicats agricoles, dont 2 éleveurs locaux.

Pour des raisons éthiques, voire légales, nous ne pouvons dévoiler le contenu de l’entretien.

Toutefois, cet échange nous a beaucoup appris sur les postures des uns et des autres. Nous sommes ressortis choqués de cet entretien joué d’avance. Cette préemption est sans logique, hormis celle du jugement et de l’animosité envers notre démarche. Nous sortons attristés du fossé d’incompréhension existant chez ces personnes influentes dans leur commune envers notre projet jugé hors sol, venant « des écolos ».

Nous tenons à communiquer :

Ce projet a été perçu comme une attaque envers l’agriculture paysanne. L’approche des représentants des syndicats agricoles a été totalement hermétique à nos arguments.

Nous sommes un fonds de dotation, qui s’apparente plus à une fondation qu’à une association. Le fonds a pour but d’acquérir du foncier forestier, et non d’avoir des adhérents, de militer, de faire de la veille écologique, ou encore de lutter pour des dossiers locaux en faveur de la protection de la nature.

Il a pour but une complémentarité avec les autres usagers de la montagne et n’interdit pas les usages déjà présents, sauf abus, pression excessive constatés ou décision de les limiter par le Conseil d’administration.

Les méthodes de certaines associations de protection de la nature, notamment locales, sont parfois très mal vues localement. Ces associations auraient mis dans le passé des bâtons dans les roues d’éleveurs membres de l’agriculture paysanne du Comminges. Prenons un exemple survenu dans le Comminges il y a quelques années : un prolongement de piste forestière utilisable en 4×4, créé illégalement sur 150 mètres directement dans la pente par un éleveur en direction d’estives … mais en plein site d’hivernage actif de Grand tétras, ce qui a été dénoncé publiquement. L’affaire à l’époque avait fait grand bruit.

Un amalgame a été fait en commission Safer entre ces affaires et notre projet de préservation. Il n’avait pourtant rien à voir avec elles.

Concernant les associations de protection de la nature (APNE) locales : il faut savoir que c’est une minorité agissante, bénévole, qui a affaire à de très nombreux dossiers locaux exerçant une pression sur la nature (risques industriels, milieux aquatiques, extensions de station de ski et autres aménagements, carrières, gravières, urbanisation, coupes rases, non respect d’habitats ou espèces protégés, etc etc etc). Selon nous, les dossiers sur lesquels travaillent ces organismes et leurs bénévoles sont très mal connus, alors que les répercussions sur la qualité de vie de la communauté sont immenses. Les méthodes parfois employées peuvent être très directes (informations demandées ou dossiers envoyés directement aux institutions ou à la DDT par exemple), perçues comme maladroites et très mal prises localement. Puis le téléphone arabe va vite, on prête aux uns et aux autres des propos qu’ils n’ont pas tenu, ou des actes qu’ils n’ont pas fait, et le débat devient impossible.

Un autre sujet s’est invité lors de cette commission. Il semblerait que l’agriculture paysanne souffre d’un manque de reconnaissance concernant la biodiversité que l’entretien des milieux ouverts permet, en terme d’avifaune, de micro-organismes, etc. Pour nous, cette question ne fait pas débat. Les milieux ouverts entretenus par le monde paysan permettent à une certaine biodiversité d’exister ; et d’autre part, les milieux naturels (dont les milieux forestiers) qui sont en évolution naturelle permettent, naturellement et sans l’intervention de l’humain, l’existence d’une très riche biodiversité. Un milieu forestier en évolution naturelle devient à terme une mosaïque d’habitats avec  des milieux ouverts, des zones humides et des prairies naturelles.  

Il nous a été reproché par les éleveurs locaux d’avoir proposé un prix démesuré sur cette vente et de vouloir provoquer une hausse des prix dans la vallée. D’une part, le prix a été négocié avec la propriétaire, qui est une personne partie en région toulousaine il y a longtemps, elle ne souhaitait pas nous vendre à un prix inférieur, et cette négociation ne regarde personne d’autre que nous. D’autre part, un inventaire de vieille forêt (selon le protocole du GEVFP) a été réalisé en amont de la négociation (placette de 8000m2). L’intérêt biologique de cette forêt dépasse sa valeur économique. C’est la seule vieille forêt pyrénéenne (JM Savoie et al., 2015) inventoriée dans le domaine privé de tout le pays (où existent plus de 5000 ha de forêt de montagne). Il a révélé un fort volume de bois sur pied, avec 8 très gros bois de sapins de belle tenue dans la classe des 70 cms de diamètre, de nombreux sujets entre 50 et 70 cms et des très gros bois de hêtres allant jusqu’à 90 cms (plusieurs sont d’ailleurs tombés depuis suite à des aléas  naturels). La valeur du bois était donc importante, et le prix demandé (3000€/ha) peut être légèrement plus haut que le prix du bois + celui du fonds, mais pas démesurément. Il peut être éloigné des prix pratiqués entre les agriculteurs, mais ne l’est pas pour celui pratiqué entre particuliers. Ce lot de parcelles est accessible (distance de la route : moins de 100 mètres). Il est donc de mauvaise foi, à moins de ne pas connaître les prix pratiqués et les prix du bois, de tenir de tels propos sur ce point.  

Nous invitons les syndicats agricoles présents à prendre du recul par rapport aux acteurs de la protection de la nature, qui sont multiples, et ne pas mettre tous les organismes dans le même panier. A titre d’exemple, le Conservatoire d’Espaces Naturels d’Occitanie protège des vieilles forêts en libre évolution via l’acquisition, cela ne l’empêche pas d’avoir de très nombreuses conventions avec des paysans dont des éleveurs, pour soutenir une gestion de l’espace tenant compte des espèces floristiques, faunistiques et des habitats naturels présents.

Suite à la motion contre le réensauvagement prise par la Confédération paysanne en 2019, l’un des membres de Forêts préservées a écrit une lettre ouverte à la Confédération paysanne (visible en cliquant ici) leur demandant de ne pas confondre les projets, tout en pointant un même ennemi commun : l’artificialisation des terres, conséquence du « système » économique. En 2023, un rapprochement a eu lieu, avec plusieurs échanges respectueux et fructueux avec des personnes impliquées dans cette Motion, qui ont permis une meilleure compréhension envers nos actions. Une communication commune a été éditée à ce sujet dans la revue de la Conf « Campagnes Solidaires » sur une demi page, signée par un membre de Forêts préservées et un membre de la Conf (No 395, Juin 2023, découvrir l’article ici). Dans cet article, l’exemple présent de préemption SAFER est cité.

Le cas de figure actuel dans le Comminges, nous permet de constater le fossé existant entre d’une part, certaines personnes siégeant dans des syndicats agricoles, et d’autre part, un projet comme le notre, qui souhaite pourtant s’inscrire dans la complémentarité avec les autres acteurs. Précisons que notre approche de préservation de forêts à fort enjeu écologique se veut complémentaire d’une sylviculture la plus éthique possible là où la forêt est exploitée. Elle nous semble tout à fait fondée à l’heure où les pressions sur la forêt augmentent.

Une complémentarité pourrait pourtant être trouvée, tout du moins avec des organismes comme le notre qui souhaite l’existence d’un dialogue, d’échanges pacifiques, d’un partage de l’espace tendant autant vers une préservation de milieux naturels comme les forêts que nous acquérons, que l’entretien de milieux prairiaux dans le respect d’un élevage extensif.

Pour info, nous affichons clairement en page d’accueil du site : « Dans le cas où des parties de parcelles soient des prairies pâturées, cet usage est conservé. »

Nous souhaitons cette complémentarité et savons que rien n’est noir ni blanc, les syndicats agricoles sont composés de personnes aux sensibilités très différentes. Nous gardons donc l’espoir, avec spécifiquement, ces acteurs locaux de cette commune pyrénéenne, très riche en termes d’habitats naturels et de vieilles forêts, d’avoir dans le futur des échanges pacifiques, constructifs, et de pouvoir envisager une possibilité de partage de l’espace comprise et fluide. C’est le cas dans les autres communes où nous possédons des parcelles, mais ce souhait ne va pour l’instant que dans un seul sens dans cette commune particulière du Haut Comminges.

Il a été choisi par les membres de la commission SAFER d’attribuer cette vieille forêt à un forestier. Dommage. Si cette vieille forêt inventoriée dans le cadre du programme du GEVFP est rayée de la carte, ce ne sera ni la première ni la dernière. Les vieilles forêts ne bénéficient d’aucun statut de protection. Elles peuvent disparaître en un clin d’œil par simple décision de gestion forestière.

Merci aux donateurs-trices de ce projet. Les fonds ont tous été transférés vers un autre projet concrétisé dans le pays massatois, visible ici.

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Pour mémoire, nous avons conservé le descriptif de la forêt que nous souhaitions acquérir ci-dessous :

Localisation : Haut Comminges (sud de la Haute Garonne) sur une surface de 3.12 hectares. 

Type de forêt : hêtraie sapinière, forêt de montagne ancienne et mature, à forte naturalité, située sur de fortes pentes, en bas de vallon

Altitude : les parcelles sont entre 900 et 1000 mètres d’altitude. 

Au cœur de la vieille forêt en cours d’acquisition

Intérêts du projet :

– Les parcelles acquises se situent dans une zone de très forts enjeux écologiques. Elles sont situées sur les pentes de deux vallons en continuité directe d’un très grand massif de forêt privée et publique. Elles sont à 600 mètres à vol d’oiseau d’une vieille forêt de montagne de plus de 200 hectares d’un seul tenant, publique et pour l’instant, totalement hors sylviculture. Pour info, les vieilles forêts de cette taille se comptent sur les doigts d’une main dans les Pyrénées.

– C’est un ensemble de parcelles situées entre deux ruisseaux descendant sur des pentes raides, directement depuis la haute chaîne, d’où la présence de cascades très esthétiques en bord de parcelles. La présence du Desman des Pyrénées, espèce endémique protégée, y est avérée.

– On y trouve de gros bois morts à tous les stades de décomposition, de très gros hêtres et sapins. Biotope parfait pour le Chat forestier, plusieurs espèces de chiroptères forestiers, pics et rapaces nocturnes.

– De très gros hêtres têtards vivants ou morts avec d’énormes cavités à terreau, sont le refuge de cortèges d’espèces rares (car liés aux stades âgés des forêts), notamment d’insectes saproxyliques. Ils témoignent d’une exploitation passée, tout comme des murets de soutènement sur deux des parcelles.

Objectif : Notre objectif est l’évolution naturelle des parcelles acquises.

Laissons la place à quelques photos, qui témoigneront plus que toute explication, du caractère sauvage et exceptionnel de ce site.

Enorme cavité de pied dans un hêtre tétard, à la confluence de deux ruisseaux.
Au cœur de la forêt en cours d’acquisition
Fort volume de bois mort au sol et sur pied, dans la zone haute de la forêt en cours d’acquisition
Cascades en bord de parcelle
Ancien chemin avec muret de soutènement, coupé naturellement par des bois morts
Très gros hêtre
5 des 14 parcelles sont situées en zone haute du bas de vallon à protéger, avec la partie supérieure en prairie. L’activité sera bien sûr maintenue, en accord avec le fermier qui y laisse pâturer ses vaches. La forte pente ne permet pas à son troupeau de descendre dans la forêt.
Hêtre en équilibre, zone de falaises