Les Pyrénées ont un deuxième nom : la frontière sauvage. Cette barrière naturelle s’étire sur 430 kms d’Est en Ouest, entaillée dans sa partie française de profondes vallées Nord-Sud aux pentes fortement boisées.
Selon l’altitude et l’exposition s’épanouissent successivement hêtraies, hêtraies-sapinières, sapinières puis boisements épars de pins à crochets au dessus de 1800 mètres, juste avant les pelouses d’altitude.
Les Pyrénées, comme tout massif montagnard, sont un monde entier. Sur la haute chaîne aux reliefs abrupts et accidentés, elles cachent dans leurs replis des secrets bien gardés, dont des lambeaux de forêts subnaturelles parmi les mieux conservées du pays.
Ces massifs sont le lieu de prédilection d’une flore et d’une faune sauvage très riche et diversifiée. De nombreuses espèces emblématiques des Pyrénées comme l’Ours brun et le Grand tétras les fréquentent. Ils constituent d’importantes zones de nidification des rapaces.
Bref historique
Dans les Pyrénées comme partout en Europe, la forêt a, selon les époques, régressé ou augmenté en surface.
Alors qu’au XIVème siècle, les chroniqueurs écrivaient qu’un écureuil pouvait passer des Pyrénées au sud de l’Espagne sans toucher terre, les forêts de montagne ont été très fortement impactées au cours des siècles suivants pour répondre aux besoins humains.
Jusque dans les années 1950, l’exploitation se faisait par câble auto porté, et il n’existait pas de route forestière dans les Pyrénées centrales. Des années 50 jusqu’à la tempête de 1999, les cours élevés du bois de hêtre et de sapin ont justifié la création de très nombreuses routes forestières en montagne. En 2010, on en comptait 3300 kilomètres.
Toutefois, ça et là, ont été conservées des forêts anciennes et matures, protégées par leur inaccessibilité et la difficulté d’aller y exploiter le bois (fortes pentes, relief accidenté).
Des forêts anciennes et matures
Anciennes, lorsqu’elles conservent une continuité de sols forestiers depuis au moins deux siècles.
Matures, lorsqu’elles ont été peu exploitées dans un passé récent : les dernières exploitations y ont généralement eu lieu dans les années 1950-60 (dernières exploitations massives par câble forestier), ou bien lors des derniers charbonnages, vers 1860. De ce fait, elles abritent de très gros bois vivants et du très gros bois mort.
De rares sites, mais ils existent, n’ont jamais été exploités dans les Pyrénées.
Lesquelles, à qui, combien ?
La plupart des forêts de montagne sont publiques. L’Office National des Forêts a estimé en 1995 à 33800 hectares la superficie de forêts publiques dites subnaturelles ou à caractère naturel, non exploitées depuis plus de 50 ans dans les Pyrénées.
Le Groupe d’Etudes des Vieilles Forêts Pyrénéennes quant à lui, a inventorié et cartographié avec un protocole strict et reconnu les vieilles forêts pyrénéennes (selon Savoie J.-M., et al., 2015), qui accomplissent la totalité de leur cycle biologique naturel (soit 300 à 350 ans, selon Larrieu L., et al., 2012).
Les inventaires ont recensé environ 8000 hectares, soit environ 2 % de la totalité des forêts des Pyrénées centrales (chiffres de 2018).
C’est dans les Pyrénées que l’on a inventorié le plus de vieilles forêts en France métropolitaine. Ce sont principalement des hêtraies sapinières.
67 % des vieilles forêts pyrénéennes sont communales, 18 % sont domaniales, 15 % appartiennent au domaine privé.
Ces forêts à haute valeur de conservation constituent des “hauts lieux”. Ils forment un chapelet discontinu tout le long de la chaîne pyrénéenne, avec des sites souvent éloignés les uns des autres. Leur préservation est une priorité, tout comme celle des vieilles forêts en devenir.
Une biodiversité extraordinaire
Ces forêts sont d’une grande qualité écologique, avec des cortèges de lichens, mousses, champignons, insectes, oiseaux et mammifères en interaction, qui occupent pour certains des habitats très spécialisés.
Bois mort de gros diamètre et vieux arbres aux multiples microhabitats, sont impliqués dans le cycle de vie de très nombreux organismes.
Des espèces dites « reliques » de l’époque des glaciations y ont trouvé refuge lors du réchauffement du quaternaire, elles y sont encore : ce sont le Grand tétras, la chouette de Tengmalm et plusieurs espèces floristiques. Isards et ongulés, petits mammifères, chats sauvages, rapaces et picidés les fréquentent ou les habitent.
La qualité de leurs abords et de leurs torrents permet à de nombreux mammifères et amphibiens d’y trouver un habitat de qualité (salamandres, desmans, tritons palmés, euproctes, etc…).
Menaces actuelles
Depuis le début des années 2000, du fait des faibles prix du bois de hêtre et de sapin, une part importante des massifs de montagne n’est plus exploitée, placée hors sylviculture. Certains ne sont pas pénétrés par des pistes forestières. Toutefois, l’échelle du temps forestier n’est pas celle du temps humain, les cours du bois et l’intérêt pour les exploiter peuvent évoluer rapidement.
En montagne, de nouveaux usages s’ajoutent aux anciens. Les nouveaux débouchés du bois énergie et ceux du bois industrie, ont des besoins de volumes en pleine expansion. Des arbres de petit mais aussi de très gros diamètre, avec parmi eux de très gros arbres sénescents et à cavités importants pour la biodiversité, mais très mauvais pour faire des planches droites et solides, sont réduits en granulés bois et en pâte à papier.
La multiplication et la diversité des pratiques sportives entraîne une pénétration et une fragmentation des milieux forestiers sans précédent. Implantation de domaines skiables, routes d’accès, raquettes à neige hors sentier, ski hors piste, escalade, survols, moto neige et autres sports motorisés illicites, etc, fragilisent été comme hiver les habitats et la quiétude d’un grand nombre d’espèces de flore et de faune. Les périodes de sensibilité maximales sont la saison hivernale et la période de reproduction.
Protéger les hauts lieux
La totalité de ces réservoirs de biodiversité mériterait une préservation pérenne grâce à une mise en libre évolution. Celle-ci garantit que le fonctionnement naturel ne soit pas perturbé ou tronqué. Des îlots forestiers intermédiaires pourraient être identifiés afin d’assurer la connectivité entre les massifs pour les espèces de flore et de faune autochtones les moins mobiles.
C’est loin d’être le cas. Certes, les vieilles forêts sont de plus en plus reconnues comme enjeu écologique fort. Mais seules quelques forêts matures bénéficient d’un statut de protection strict et pérenne dans les Pyrénées à ce jour, grâce à des initiatives qui demandent à être poursuivies et reconnues, tant dans le domaine public que privé.
Par son action, Forêts préservées souhaite :
- contribuer à l’établissement d’un réseau protégé de forêts âgées dans les Pyrénées
- sécuriser des zones de quiétude pour la faune et la flore
- établir des corridors biologiques pérennes entre les massifs
Chaque acquisition est un pas de plus vers ces objectifs.
(1) Carte de Gouix N. 2018: Vieilles Forêts et connectivités écologiques. Journées d’échanges 2017-2018 « Des outils pour être opérationnel sur les trames vertes et bleues »: « les vieilles forêts pyrénéennes, un patrimoine naturel à protéger ? Pourquoi et comment ? » 15 Novembre 2018